Plongeon en cuisine

Par Maël Bacon

Critique du film le plongeur


Henri Picard dans le rôle principal de Stéphane FOURNIE PAR IMMINA FILMS

Musique métal, secrets de cuisine et dépendance au jeu. Telle est l’essence du Plongeur, adaptation cinématographique du roman éponyme à succès publié par Stéphane Larue en 2016. Réalisation signée Francis Leclerc, à qui on doit notamment Pieds nus dans l’aube, L’arracheuse de temps ou encore la série Les beaux malaises, Le plongeur est le film québécois à aller voir durant la relâche..

Rempli de références culturelles et de musique populaire, il saura charmer autant les plus jeunes que ceux ayant connu le Montréal effervescent du début des années 2000. Même s’il ne mise pas sur des visages connus du public, le casting est impressionnant : non seulement Henri Picard y est très convaincant, mais Charles-Aubey Houde, dans le rôle de Bébert, offre une performance qui ne passera pas inaperçue.

 Coscénarisé par Éric K. Boulianne, récemment mis sous les projecteurs grâce à son travail sur le scénario de Viking, l’adaptation libre et créative du roman original permet à Francis Leclerc de frapper un solide coup sûr avec son sixième long-métrage. Représentation de la spirale infernale de la dépendance, le film nous invite à suivre Stéphane, un jeune cégépien de 19 ans pour qui le mensonge est une aussi grande compulsion que le jeu. Sa quête d’argent le force à prendre un emploi de plongeur dans un « resto fancy » et à se rapprocher de milieux de plus en plus douteux.

De Iron Maiden à Jean Leloup, en passant par Neil Young et Dumas, l’ambiance musicale est aussi riche que variée, en musique d’ici et d’ailleurs. Il ne fait aucun doute que c’est la trame sonore la plus ambitieuse au Québec depuis C.R.A.Z.Y.

 

Au niveau visuel, la créativité du directeur artistique Mathieu Lemay rend un vibrant hommage au monde de la cuisine ainsi qu’au Montréal de 2002. Que ce soit la cuisine du restaurant ou bien les différentes affiches de groupes musicaux éparpillées à travers le film (ou dans les différents lieux du décor), rien n’est laissé au hasard et les spectateurs, surtout ceux de la génération X, auront un malin plaisir à reconnaitre toutes les références culturelles. Pour ce qui est de l’image, la direction de la photographie du renommé Steve Asselin (le film 1987) met parfaitement en valeur la promiscuité si caractéristique des cuisines de restaurant.

 

Que ce soit pour une sortie avec vos ados, ou un plaisir coupable seul au cinéma, Le plongeur est un film qui ne manque certainement pas de qualités et qui a le pouvoir de charmer un large public. Si vous êtes habituellement désenchanté par le cinéma québécois, je pense que la nouvelle production de Marie-Claude Poulain (Sphère films) est bien le film d’ici qu’il faut aller voir prochainement.


Entrevue avec francis leclerc

Francis Leclerc PHOTO DANNY TAILLON

Un soleil éclatant illuminait les Foufounes électriques lorsque j’entrais au rez-de-chaussée du célèbre bar montréalais… à 11h du matin! L’ambiance électrisante et festive habituelle de l’endroit cédait sa place à un climat chaleureux et étrangement intime. C’était tout désigné pour accueillir le junket media (évènement de presse où l’équipe d’un film répond en rafale aux questions des journalistes) du  Plongeur.  C’est là que je rencontrais le réalisateur Francis Leclerc pour discuter de son nouveau film que j’ai eu la chance de voir en première médiatique.


Les références culturelles du Plongeur parlent surtout à la génération X, penses-tu que le film peut autant être apprécié par un cégépien ?

Mon défi sera surtout d’aller chercher ceux qui ne vont pas déjà au cinéma et j’espère être capable de le faire. Mon fils et ma belle-fille m’ont prouvé qu’on peut tripper sur les mêmes choses. Est-ce que les cégépiens qui s’intéressent moins à l’art vont y aller ? Je ne sais pas. Ils vont peut-être rester chez eux à écouter Netflix et je serai ben déçu! Ce que je souhaite, c’est que les gens de ma génération soient le moteur et qu’ils amènent leurs enfants en salle. 

Combien ont coûté les droits musicaux du film ? 

Marie-Claude (ndlr : la productrice) ne veut pas que je le dise ! Elle a travaillé sur C.R.A.Z.Y. donc elle savait à quoi s’attendre. On a mis l’argent de côté dès le début de la production, mais on a quand même dépassé le budget... La musique était super importante pour le film car c’est à la base même de l’identité du personnage. Pour moi c’était clair dès la scénarisation que la signature auditive allait être centrale. On avait même mis des titres de chansons dans le scénario. Pour le coût, au final, on est dans le même ordre de grandeur que C.R.A.Z.Y. 

 

Pourquoi est-ce que difficile au Québec d’obtenir un succès commercial ?  

La situation a beaucoup changé en 15 ans à cause du cinéma fait pour la télévision. Les écrans ont grandi dans nos salons, donc les gens sont moins portés à dépenser 15$ pour aller voir un film en salle. C’est tellement facile d’écouter Netflix chez nous que je pense que les plateformes tuent tranquillement le cinéma… Même aux Oscars, ce sont des films produits par Netflix qu’on récompense. On fait de moins en moins de cinéma destiné exclusivement au grand écran. J’ai essayé de renouer avec cette tradition pour le Plongeur, mais je ne peux pas plaire à tout le monde. 

Comment as-tu procédé pour représenter le plus fidèlement possible la spirale infernale de la dépendance à l’écran ? As-tu rencontré des spécialistes ? 

Je me suis beaucoup fié sur ce que Stéphane nous a raconté. Ça reste l’enjeu principal du roman donc c’était déjà bien représenté. Je ne voulais pas non plus faire une œuvre didactique. Arrêtons de mêler l’art et les problèmes sociaux! Le spectateur est assez intelligent pour appeler et aller chercher de l’aide s’il se reconnait dans les problèmes de dépendance du personnage. 

Étant donné le grand succès du roman, comment te sens-tu face à la réception de ton film?  

Quand j’ai décidé d’adapter le roman, il n’était pas encore super connu. Le désir n’est donc pas venu du succès, mais plutôt de l’amour pour l’œuvre. Je sentais bien plus de pression quand j’ai adapté Pieds nus dans l’aube (ndlr : récit autobiographique de la vie de Félix Leclerc, père du réalisateur). J’ai accumulé de l’expérience en adaptant l’œuvre de mon père et celle de Fred Pellerin avec L’arracheuse de temps, donc je suis confiant pour l’adaptation de Stéphane. 


À travers tes différents films, tu as mis sur la carte plusieurs talents, dont Pier-Luc Fuck, Jean-Carl Boucher, Justin Leyroll-Bouchard. Y a-t-il une démarche derrière tes choix de casting ? 

Charles-Aubey Houde dans le rôle de Bébert. FOURNIE PAR IMMINA FILMS

Quand je fais des films, je n’ai pas de pression pour aller chercher des acteurs populaires. On me laisse le champ libre. Alors pourquoi prendre quelqu’un d’hyper connu ? . J’ai toujours choisi mon lead en premier. Après, je construis mon casting en fonction de ceux qui me ravissent en audition et en fonction de leur dynamique avec le rôle principal. Pour Le plongeur, on a fait des auditions et il y a des gens super connus qui sont passés, mais ça adonnait que c’était Joan (Bonny) la meilleure et Charles-Aubey (Bébert) le meilleur pour leur rôle. Même chose pour Pier-Luc (ndlr : qui joue dans Un été sans point ni coup sûr, sorti en 2008), c’était un enfant parmi tant d’autres en audition mais il est vraiment sorti du lot. 




Tes derniers films sont tous des reconstitutions historiques. Est-ce plus difficile de recréer 2002 ou 1920 ? 

Sur mes six films, cinq sont d’époque, en effet! Je dirais que c’est plus difficile de refaire le début du 20ème siècle. Pour refaire Montréal en 2002, tu peux juste te planter sur un coin de rue et rajouter quelques voitures de cette année-là. Ça reste les mêmes bâtiments et les mêmes lumières rouges. Bonne chance pour refaire la rue Hochelaga de 1920 en revanche. C’est beaucoup plus dur pour le directeur artistique de reconstituer des époques lointaines.  

 

Qu’est-ce que le succès de la série Les beaux malaises t’a apporté au niveau professionnel ? 

Au Québec, la télévision est avant tout un monde d’auteur et le cinéma un monde de réalisateur. Quand tu acceptes un contrat à la télévision pour réaliser la série d’un auteur ou d’un humoriste, tu acceptes aussi d’être dans l’ombre. On parle toujours de « la série de Fabienne Larouche » alors que ce n’est pas elle qui l’a réalisée. Je l’ai aussi vécu au début de ma carrière quand j’ai fait Apparences ou Les rescapés : on parlait plus de l’auteur que de moi. Les beaux malaises, ça m’a surtout apporté beaucoup d’offres pour réaliser des comédies. Cependant, ça serait vraiment dur de battre ce que j’ai fait avec Martin vu le succès de la série, donc ça m’intéresse moins. Mais je suis un meilleur réalisateur pour ce qui est de la comédie maintenant. Ça m’a aidé à comprendre davantage les mécanismes de l’humour. 

Que souhaiterais-tu au cinéma québécois pour le futur ? 

En plus de ne pas lâcher le financement du cinéma québécois, je pense qu’il faut aussi ne pas enrayer le gala du cinéma québécois. C’est super important pour une industrie de se récompenser et de se donner des tapes dans le dos, surtout pour mes collègues qui sont moins sous les projecteurs. Lorsque nous avons remporté des prix pour L’arracheuse de temps, c’était vraiment le fun pour la maquilleuse et le gars des effets spéciaux. De savoir qu’il n’y a aucun prix pour personne l’année où je sors Le plongeur, ça me met en maudit. Mathieu Lemay et Steve Asselin ont tous les deux fait des jobs incroyables. Pourquoi ils ne mériteraient pas des nominations ? Pour qu’on se donne le goût de continuer.  

Quelques images du film. FOURNIE PAR IMMINA FILMS